Tuesday, July 22, 2014

Passager clandestin

Cette illustration n'a pas grand chose à voir... Encore que. C'est un très beau récit de passage de l'enfance à l'âge adulte. Avec de l'émancipation dedans, ça ne gâche rien! Si vous ne l'avez pas déjà fait, précipitez-vous pour lire Marjane Satrapi.


Tu es arrivé hier. Pas sans frapper, au contraire, mais je ne t'avais pas entendu. Enfin, je n'étais pas sûre. Je suis descendue pour voir et je t'ai aperçu par la fenêtre du salon.

Je n'ai pas reconnu la frêle silhouette d'adolescent, le coupe-vent noir, la capuche rabattue, serrée autour du visage, barrage dérisoire contre la pluie battante, les mèches de cheveux trempées collées sur le front. Je n'ai pas reconnu le regard furtif, presque apeuré... ou était-ce de la surprise?
En ouvrant la porte, je m'apprêtais à questionner et rembarrer un importun.

Et je t'ai reconnu.
Avec toi, les souvenirs sont arrivés. Tout dans ton attitude et ta présence m'a rappelé le passé.

J'ai reconnu l'enfant à ta façon de quitter tes chaussures boueuses sur le paillasson, ton embarras à me surprendre dans mes habits de chantier, ta réserve avant d'accepter un coup à boire puis ton empressement à te servir un sirop de menthe et manger un bon goûter...
Je me rappelle des trajets que nous faisions ensemble quand je t'emmenais à l'école. On parlait de ton chat, de tes leçons, de ta famille, de tes copains, des vacances... Quels autres sujets auraient pu convenir entre un garçon de dix ans et la mère de son copain d'enfance?
Hier aussi, les études, les projets de vacances, la famille et les animaux...

J'ai reconnu l'adolescent, impulsif, tête-brulée, perdu, fragile et ténébreux. Comment ne le serais-tu pas, toi qui avait essayé d'en finir alors que tu n'étais pas encore un "teenager"? Toi qui a vu mourir ton meilleur ami?
Toi qui a survécu.
Je me suis souvenue d'avoir essayé de trouver des mots quand tu m'avais confié ton mal-être, osant pleurer et refusant de toutes tes forces le collège privé où tes parents t'avaient inscrit...
Je me suis rappelée du moment où tu étais tombé du trampoline, créant la panique chez tes copains affolés devant ta perte de connaissance...
Et ce jour, le lendemain de l'avalanche, où pour te sortir de l'abîme, je t'ai secoué, physiquement, devant tes parents impuissants. J'aurais même été jusqu'à te mettre un coup de boule si tu n'avais pas réagi...

J'ai reconnu l'homme aussi. Celui qui a réussi à se dégager, à trouver le courage moral et physique d'aller chercher les secours.
Celui à qui j'ai osé conseiller de faire ses propres choix.  De se dégager du poids des convenances. D'apprendre à prendre de la distance vis-à-vis d'une famille aux interactions toxiques. D'oser vivre.
Avec l'homme, j'ai parlé du jour où mon fils est mort. Du capitaine des secours en montagne qui a vu sa vie changer ce jour-là, lui aussi. (Il me l'a confié depuis...)
Hier aussi, des mots. Pour dire combien je suis heureuse de te voir grandir, de te voir faire des projets. 
Des mots pour dire le souvenir aussi. Et le chagrin. 
Des mots que je te dis et que tu viens entendre.


The only time you should ever look back, is to see how far you've come.

1 comment:

  1. Ah la la... tes mots & sa voix sur ce poème que j'aime tant et mes yeux s'embuent...
    Merci de revenir ICI de temps en temps... jamais pour rien !
    Des bises amicales de la Marette

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